DOCERE

Léon Bloy

« Obtenir enfin le mutisme du Bourgeois, quel rêve!
     L'entreprise, je le sais bien, doit paraître fort insensée. Cependant je ne désespère pas de la démontrer d'une exécution facile et même agréable.
     Le vrai Bourgeois, c'est-à-dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l'homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l'authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très-petit nombre de formules.
     Le répertoire des locutions patrimoniales qui lui suffisent est extrêmement exigu et ne va guère au delà de quelques centaines. Ah! si on était assez béni pour lui ravir cet humble trésor, un paradisiaque silence tomberait aussitôt sur notre globe consolé! »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 9

« Mourir riche! Vœu héroïque! Desideratum prodigieux! Que sont, à côté, les commandements de Dieu et les commandements de l'Église, et les Souffrances du Rédempteur, et la Compassion de Marie, et le sang des dix-huit millions de Martyrs, et les extases des Saints? Le Paradis, c'est de crever dans la couenne d'un pourceau, et saint Paul même eût été forcé d'en convenir, s'il avait connu les Belges. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 36

« Aucun homme doué d'intelligence n'hésitera à reconnaître que saint Thomas est le patriarche des positivistes, c'est-à-dire des hommes sans foi et même, s'il faut tout dire, d'un assez grand nombre de crapules qui se faufilent, par malheur, dans ce groupe lumineux, quelques précautions qu'on prenne.
Mais il y a une chose très-belle qu'on ne dit pas. C'est que le disciple a dépassé le maître et que le Bourgeois est beaucoup plus grand que saint Thomas. Son admirable supériorité consiste, en effet, à ne pas croire, même après avoir vu et avoir touché. Que dis-je! à devenir incapable de voir et de toucher à force de ne pas croire. Ici on est au seuil de l'Infini. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 45

« Le Bourgeois n'est précisement religieux; non, mais il est plein de traces accumulées, plus ou moins distinctes, comme un décrottoir fidèle ou un paillasson qui aurait beaucoup servi. Rien ne lui semble plus facile que d'être comme saint Thomas et, en même temps, de se laver les mains de ceci ou de cela, comme Pilate. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 45

« Aimer autre chose que ce qui est ignoble, puant et bête; convoiter la Beauté, la Splendeur, la Béatitude; préférer une œuvre d'art à une saleté et le Jugement dernier de Michel-Ange à un inventaire de fin d'année; avoir plus besoin du rassasiement de l'âme que de la plénitude des intestins; croire enfin à la Poésie, à l'Héroïsme, à la Sainteté, voilà ce que le Bourgeois appelle « être dans les nuages ». D'où il suit que les nuages sont une espèce de patrie-omnibus pour quiconque n'est pas situé exactement au plus bas de tous les degrés de l'échelle, — ce qui n'est, bien entendu, le cas de personne. Car il y a une hiérarchie de nuages à n'en pas finir et voilà ce que cache soigneusement l'Ennemi des hommes. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 48

« Un homme comme il faut doit être, avant tout, un homme comme tout le monde. Plus on est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut. C'est le sacre de la Multitude. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 50

« TOUS LES GOÛTS SONT DANS LA NATURE
Dans la nature du Bourgeois, cela va sans dire. Essayez de vous représenter une telle universalité de goûts chez un poète! Et remarquez, je vous prie, qu'il n'est pas question de goûts très-variés, de goûts très-multiples, mais de tous les goûts, depuis le goût de l'ambroisie jusqu'à celui de la merde, inclusivement.
Tel est le Bourgeois, il aime tout et il avale tout. Du moins le malin qu'il est voudrait le faire croire. Mais je connais ses pentes et je ne le vois pas très-bien aimant des choses propres. C'est là son indiscutable et sempiternelle supériorité qu'il cache en vain. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 58

« Déclarons-le sans barguigner. Aucune vérité n'est bonne à dire, tel est le vrai sens du texte. Peut-être même n'y a-t-il pas de Vérité. Pilate, qui LA voyait face à Face, n'en était pas sûr. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 59

« Le profond Bourgeois nous affirme qu'il n'y a que la Vérité qui l'offense.
     Le mensonge ne l'offense pas, ne l'offensera jamais. C'est une espèce d'oncle dont il espère toujours hériter et pour lequel il n'a pas assez de caresses. Quand le Mensonge s'incarnera, ce qui doit arriver un jour, il n'aura qu'à dire : « Quittez tout et suivez-moi », pour traîner aussitôt derrière lui, non pas une douzaine de pauvres, mais des millions de bourgeois et de bourgeoises qui le suivront partout où il lui plaira d'aller.
      présent, la Vérité seule s'est incarnée, Ego Veritas qui loquor tecum, et vous savez comment elle a été accueillie. Ah! on ne s'y est pas trompé une minute : Crucifigatur! IL N'Y A QUE LA VÉRITÉ QUI OFFENSE!
     C'est tout de même troublant d'entendre le Bourgeois dire ces choses-là, tranquillement, du matin au soir. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 67

« Si quelque chose manque essentiellement au Bourgeois, c'est la Grandeur qu'il abhorre. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 68

« — Oui, c'est vrai, songe profondément le Bourgeois, l'argent ne fait pas le bonheur, surtout lorsqu'il est absent. Il le fait presque, sans doute, mais pas complètement. Quelque chose manque, tout le monde est forcé d'en convenir, et c'est l'occasion d'une tristesse infinie que d'être témoin de cette impuissance de l'argent qui devrait assurer la félicité de ceux qui l'adorent, puisqu'il est véritablement un Dieu. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 76

« L'HONNEUR DES FAMILLES
Autrefois, lorsque l'abolition du sens des mots n'avait pas encore été promulguée, l'honneur d'une famille consistait à donner des Saints ou des Héros, tout au moins d'utiles serviteurs de la chose publique. Cela, qu'on fût riche ou pauvre, qu'on eût des ancêtres illustres ou qu'on n'en eût pas. Dans ce dernier cas, on montait simplement et naturellement dans l'aristocratie, par la seule nature des choses.
     Aujourd'hui l'honneur des familles consiste uniquement, exclusivement, à échapper aux gendarmes.
     Les bourgeois éclairés accordent quelquefois, après avoir demandé à réfléchir, que la pauvreté peut, dans un très-petit nombre de cas qu'ils se gardent bien de spécifier, n'être pas déshonorante, mais rien n'effacerait la honte d'une condamnation judiciaire, surtout en province.
     Les Martyrs ont beau avoir leurs ossements sur les autels depuis des siècles, l'Église a beau carillonner leurs fêtes et les inonder de gloire, le Bourgeois plein de défiance voit en eux des maladroits qui se sont laissé pincer et qui ont un casier judiciaire. Une nièce de saint Laurent ne trouverait pas à se marier et un arrière-petit-cousin du Bon Larron n'obtiendrait jamais une place de douze cents francs dans une administration.
     La répugnance du Bourgeois pour le Christianisme tient en grande partie à ses sentiments d'honneur, — on ne l'a pas assez dit. Il n'arrive pas à s'arranger d'une religion dont le « fondateur », après avoir subi une peine infamante, est ressuscité, le troisième jour, pour aggraver éternellement le déshonneur de sa famille. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 85

« M. Besoin est un de ces penseurs dont la liberté étonne les animaux domestiques. Son trait le plus original est d'avoir lâché Dieu, comme tout le monde, à l'époque illuminative de sa puberté. A partir de là, peu de choses lui furent cachées. Ayant vécu loin du monde sacerdotal, il connaît les prêtres, cela va sans dire, et sait exactement ce qu'il faut penser de leurs manigances. M. Besoin ressuce goulûment le dix-huitième siècle et passe, dans son chef-lieu de canton, pour une intelligence de prime-saut. Il parle volontiers de l'Inquisition, de la Saint-Barthélémy, de la Révocation de l'Édit de Nantes, etc., en des phrases qui parurent champignonneuses vers 1820, et il s'exprime avec force contre le fanatisme de deux ou trois pauvres vieilles bougresses de dévotes qui vont assidûment à l'église paroissiale.
     On n'attend que l'occasion pour faire de cet orateur un député. C'est lui qui saurait en finir avec la religion, quand il serait aux affaires! Sans doute, ce n'est pas mal, si on veut, d'avoir congédié un assez bon nombre de religieux et de religieuses. Le gésier de cet homme d'État se dilate à la pensée que les pénitentes du Carmel ou les hospitalières des indigents sont peut-être désormais errantes et sans pain. Mais quelle mollesse dans l'exécution! quelle timidité! quel manque de décision! quelle impuissance! alors qu'il s'agissait de tout chambarder en un clin d'œil…
     M. Besoin en était là de son discours, en plein café du Commerce, lorsque le sacristain, homme fougueux venu pour se rafraîchir, lui demanda brusquement s'il allait « fermer sa gueule ». L'orateur, interdit et suffoqué, ne répondit pas.
     — Je vais parler pour vous, reprit l'employé d'église, chacun son tour. J'ai à vous dire d'abord que vous êtes un imbécile et que vous brûlez votre chandelle par les deux bouts. Ici vous braillez du matin au soir, et souvent jusqu'à minuit, contre les prêtres, contre l'église, contre les cérémonies et contre les cloches dont la sonnerie vous exaspère comme si vous étiez un démon, enfin contre les religieux et les religieuses. En même temps vous avez vos deux filles en pension, à Paris, chez les Dames Visitandines. Là je suppose que vous tenez un autre langage. Moi, je m'en fous, remarquez bien. Seulement, je trouve un peu salaud de se contredire à quelques minutes d'intervalle, juste le temps d'aller à Paris et d'en revenir. C'est une dégoûtation de mentir continuellement aux uns et aux autres comme vous le faites, avec l'intention de ficher dedans tout le monde. Heureusement que vous vous brûlez des deux côtés à la fois, je le répète, étant un parfait idiot et je ne vous l'envoie pas dire, moi, Charlemagne Dasconaguerre, ancien maréchal-des-logis aux cuirassiers de Reischoffen et devenu calotin, à votre service…
     Étant mal placé dans ce café sans perspective, je ne puis voir comment la claque avait suivi la harangue, et quelle claque! M. Besoin avait-il montré du dédain ou risqué le commencement d'un geste? Toujours est-il qu'il en resta démantibulé. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 126

« Ce qu'il [le Bourgeois] déteste par-dessus tout, c'est qu'on soit le premier ou le dernier n'importe où, n'importe comment et n'importe quand. Il faut être dans le tas, résolument et pour toujours. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 136

« Par nature le Bourgeois est haïsseur et destructeur de paradis. Quand il aperçoit un beau Domaine, son rêve est de couper les grands arbres, de tarir les sources, de tracer des rues, d'instaurer des boutiques et des urinoirs. Il appelle ça monter une affaire. On m'assure qu'il existe, sur le Golgotha, une entreprise avantageuse de commodités. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 141

« Par là s'explique sa haine des cloches, lesquelles ne peuvent être consacrées que par un Évêque, annonciateur et démarcateur d'Unité divine. Une cloche unique, un son unique, auraient trop l'air de venir du ciel, et c'est pour cela qu'ils font peur. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 144

« ON NE SAURAIT PENSER À TOUT
     Soyons raisonnables, n'est-ce pas? Je suis forcé de penser à mes affaires, d'abord; ensuite aux affaires des autres, pour les fourrer dedans, s'il est possible; enfin à mes plaisirs. Où diable voulez-vous que je prenne le temps de penser à autre chose?
     Vous me parlez de Dieu, c'est bien gentil de votre part; mais, sérieusement, qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse de votre bon Dieu? Jamais je n'y pense, jamais je n'y ai pensé et quand je serai sur le point de crever, je vous prie de croire que je n'y penserai pas davantage. Les prêtres le disent eux-mêmes, on est poussière et on retourne en poussière. Alors pourquoi s'embarrasser de toutes ces blagues?
     Vous êtes vraiment bien rigolo de vous intéresser à mon âme, comme si je m'intéressais à la vôtre, moi! Oh! là! là! on voit bien que vous n'êtes pas dans le commerce. Si vous y étiez, vous sauriez que, loin de pouvoir penser à tout, on a bien assez et même trop, quelquefois, de penser à son livre de caisse. Tenez, mon cher monsieur, voulez-vous que je vous dise? Je demande un bon Dieu qui soit dans les affaires. Alors on pourrait s'entendre. Il n'aurait pas le temps, lui non plus, de penser à tout. Il ouvrirait le dimanche, pour sûr, et il nous ficherait la paix, je vous en réponds…
     Telles sont les paroles de celui qui a remplacé le Génie farouche qui apostrophait autrefois les navigateurs téméraires, au Cap de Bonne-Espérance. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 153

« J'aurais voulu trouver l'occasion d'une engueulade infinie où il eût été dit que le Bourgeois n'a de l'argent que pour le rendre et que, s'il ne le rend pas, il est un larron sans croix et sans paradis. Judas, moins canaille, a RENDU le sien, avant de crever. Mais essayez de faire comprendre ces choses! »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 211

« Le monde luthérien, c'est l'empire de Satan bâtard. Le crime et l'ordure même y sont médiocres. Pour délivrer une de ces misérables âmes, il faudrait que Dieu déplaçât tous les décombres de sa création bouleversée. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 214

« Le premier devoir du citoyen, après celui de voter pour des acéphales, c'est de choisir sa carrière ou mieux d'accepter, avec la plus vive reconnaissance, une carrière choisie par ses parents ou par Hanotaux. Tout le reste est fantaisie et péril grave pour la société.
     Je connais un poète que son père avait destiné, longtemps avant sa naissance, à l'entreprise des démolitions. Une providence ironique voulut qu'il devînt, en effet, un démolisseur de bourgeois et le père, trop exaucé, en mourut de désespoir. Tel est le désordre prévu par notre infaillible Gabriel qu'on ne consulte pas assez. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 241

« Interrogez tous les bourgeois, ceux surtout qui n'ont jamais su un mot de latin, vous n'en trouverez pas un seul qui ne soit persuadé que la Bible est pleine d'ordures, la Bible en latin bien entendu, les autres bibles ayant été fort heureusement expurgées par de séraphiques protestants. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 309

« Quand vous entendez un bourgeois totalement illettré déclarer qu'il y perd son latin, soyez persuadé qu'il se passe en lui quelque chose de semblable, qu'il est aux prises avec une difficulté de conscience et qu'il vient probablement de faire un mauvais coup. Etendez ce raisonnement très simple aux nations qui ont perdu leur latin et j'ose vous promettre une réconfortante vision. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 311

« LE MARIAGE EST UNE LOTTERIE
On a cru longtemps que c'était un sacrement. Depuis le divorce nous savons que c'est une loterie, heureusement renouvelable. Si on ne gagne pas le gros lot, on peut toujours attraper le gros numéro et la vie cesse d'être morose. Si les émotions de la loterie ne conviennent pas à votre tempérament, c'est bien simple, il faut renoncer au mariage.
     Mais ne remarquez-vous pas l'extrême beauté de ce nouvel ordre de choses ? Autrefois, c'était une terrible affaire que le mariage. Il fallait aimer et être aimé, il fallait faire une cour plus ou moins longue, consentir à des formalités ennuyeuses, à des cérémonies vaines. Enfin et surtout il fallait se lier indissolublement pour toute la vie. Aujourd'hui vous prenez un billet et vous attendez tranquillement le jour du tirage.
     Si vous êtes parmi les gagnants, vous voyez venir une petite femme de plus ou moins de valeur qu'il vous est loisible de conduire aussitôt à la mairie où l'officier municipal vous accouplera sans barguigner. Si vous êtes mécontent de votre lot, vous n'avez, un peu plus tard, qu'à changer d'épouse, en prenant un nouveau billet. La loi vous y autorise, vous y encourage ? et la loterie est toujours ouverte. Si des enfants sont survenus, l'Assistance publique se charge d'assurer leur bonheur. Mêmes avantages pour la femme qui peut avoir plusieurs billets sortants et les réaliser le même jour, ce qui multiplie vos chances de progéniture. L'existence est alors comme un paradis. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 311-312

« Un homme en vaut un autre et le suffrage universel à quoi nous devons tant de bienfaits, le démontre surabondamment. Penser ou agir autrement que tout le monde est injurieux pour la multitude. Platon qui voulait environner sa république des plus solides remparts, en éloignant tout ce qui pouvait porter atteinte à la morale, bannissait impitoyablement les poètes et ces autres faiseurs d'embarras qu'on appelle aujourd'hui des artistes originaux. Le plus sûr serait de les tuer. La vraie morale entrevue par le divin Platon, c'est d'être en troupeau, de ressembler à tout le monde, et la stricte honnêteté bourgeoise consiste à ne pas abuser de la confiance du propriétaire en décrochant les étoiles. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 323-324

« Tous les bourgeois vous diront qu'il n'y a pas l'épaisseur d'un cheveu entre les extrêmes. C'est pour cela qu'ils en ont horreur et qu'ils préconisent la médiocrité, le juste milieu, la bonne moyenne, le fil à couper le beurre, estimant, dans leur sagesse, que les taupes n'ont pas besoin de l'oculiste et que les crapauds sont moins exposés aux coups de soleil que les licornes ou les alérions. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 336

« La figure du passé ne revient pas aux honnêtes gens, précisément parce qu'elle leur revient trop distinctement. C'est pour cela qu'on a tant travaillé à fausser et à défigurer l'Histoire, le passé des nations modernes étant aussi importun que le passé des individus.
     « Au détour d'un sentier une charogne infâme », a dit Baudelaire. Voilà ce qu'on a fait des plus belles choses d'autrefois. Il est préférable de fermer les yeux et de se boucher les narines. Les assassins n'aiment pas la confrontation et cette charogne apparaît dans tous leurs miroirs. Cependant une voix mystérieuse leur dit que le passé demeure toujours, qu'il reviendra, quand même, à la Fin, qu'il reviendra sur eux, quoi qu'ils fassent, non pas sous cet aspect de déréliction et d'ignominie affreuses que le poète suppose, mais avec sa vraie figure infiniment auguste, et grave, et implacable, accompagnée de la conscience miraculeusement ressuscitée des uns et des autres. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 362

« J'ai lu qu'un grand seigneur du XVIIIe siècle avait de si riches appartements dans son château qu'on ne voyait pas le moyen de cracher ailleurs que sur la figure du propriétaire. »

— Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, éd. Rivages poches, p. 368